Les semaines défilèrent, toutes plus éprouvantes les unes que les autres. Dans l’arène de Sparda, sous la lueur froide des torches, Michaël affronta chaque jour la rudesse des codes de Guebourah. Chaque matin, son corps était brisé, ses ailes meurtries, ses mains sanglantes. Sparda, implacable, le poussait jusqu’au bout de ses forces, ne lui accordant aucun répit :
— Tu te relèveras, encore et encore, jusqu’à ce que la douleur devienne ta compagne, soufflait-el, les bras croisés, indifférent à la souffrance.
Mais malgré les jours qui s’empilaient, Michaël n’avait pas la sensation de progresser. La montagne de son propre corps restait aussi difficile à gravir ; l’endurance, la résistance, n’étaient pour l’instant que des mots vides. Parfois, el pensait que cela prendrait des années : la perspective l’écrasait, mais aussi l’obligeait à regarder la vérité en face.
Chaque soir, el rejoignait le calme de ses quartiers, vidé, hagard. C’est là que Léoniel le retrouvait, s’asseyant à ses côtés avec une douceur anxieuse. El portait le deuil silencieux de l’état dans lequel el retrouvait Michaël. El aurait voulu aider, alléger la souffrance, mais el n’avait jamais eu le cœur de lever la main sur el, même pour l’entraînement. L’amour entre els était une force qui savait protéger mais jamais frapper.
— Laisse-moi, au moins, soigner tes plaies, murmurait Léoniel, effleurant les ecchymoses sur les bras de Michaël.
Michaël hochait la tête, muet, honteux de cette faiblesse nouvelle, mais reconnaissant du soin reçu. L’odeur des baumes, la caresse lente sur sa peau abîmée, étaient la seule douceur du jour.
À cela s’ajoutait la présence insistante de Perséphonia. Chaque fois qu’elle croisait Michaël, elle rappelait avec une sévérité maternelle que le temps pressait : il fallait penser à l’avenir, engendrer, s’unir aux azohim, perpétuer la lignée pour assurer la survie et la force des Labyrinthes.
— La guerre n’attend pas, Michaël, disait-elle, son regard pénétrant. Il faut des héritiers !
Ainsi, Michaël vivait prisonnier dans l’étau de l’amour et de la mort : d’un côté, le regard inquiet de Léoniel, la douceur de ses épouses, de l’autre, la violence de Sparda, nécessaire pour éviter un funeste destin.
Durant les heures de repos, Michaël contemplait ses mains douloureuses, sa respiration laborieuse, le poids de la tâche à venir. Peut-être la véritable endurance n’était-elle pas dans la chair, mais dans la ténacité à persévérer malgré tout, à ne pas céder à la lassitude, à accepter que les progrès prennent du temps, parfois toute une vie. Et quelque part, el sentait que c’est dans cette tension, entre l’amour et la mort, que naîtrait peut-être un jour le véritable chef des Labyrinthes.
Sparda a beau me tabasser avec son idée de la Force, faut pas que j’abandonne mon intellect, décida Michael. Le lendemain, el convoqua ses plus proches amis dans sa salle stratégique.
La salle était sobre, murée de granit noir, éclairée d’une lumière pâle projetée par la carte holographique de Guebourah. Michaël, la silhouette encore amaigrie par l’entraînement, dominait la table, entouré de ses plus proches alliés : Léoniel, le regard inquiet mais résolu ; Asmodée, penché avec gourmandise sur la topographie ; Prométhée, dont l’esprit vagabondait déjà vers de futures inventions.
Au centre de la carte, Madim s’étendait, forteresse ceinturée par les volutes de l’Olympus. Tout autour, les monts de Tharsis dressaient leurs silhouettes titanesques : Pavonis au nord, Arsia à l’ouest, Ascraeus au sud-est. Trois volcans-cités, trois puissances majeures du royaume, chacune dirigée par un archange-roi : Balomiel, le pragmatique, Thauriel, l’ambitieux, et Ramael, le sanguin.
Michaël entama la réunion d’une voix grave :
— Voilà notre situation : ces trois cités-états nous ont soutenus, forcées par Sparda. Elles attendent désormais un retour. Individuellement, chaque archange est redoutable. Ensemble, els pourraient faire tomber Madim, si leur rivalité ne les divisait pas.
El marqua une pause, effleurant les reliefs lumineux de la carte.
— Nous devons les contenir, voire les manipuler. Quelles options voyez-vous ?
Léoniel commença :
— Sparda “travaille” avec ces trois spécimens depuis des siècles, el les connaît bien, et moi aussi. D’abord nous avons le plus ancien : Balomiel, souverain de Pavonis, le moins exposé des monts. El est pragmatique, prudent. El a peur du chaos et te crains car tu rivalise son influence. Cependant, el méprise la brutalité de Ramael et se sent supérieur intellectuellement à Thauriel.
— Je connais bien Thauriel, dit alors Asmodée. Roi d’Arsia. El m’a souvent contacté car el convoite les technologies perdues des Labyrinthes. C’est un ambitieux, avide de pouvoir, d’innovation, assez provocateur. El se verrait bien souverain des trois monts. On peut jouer là-dessus.
Michael se remémora l’incident avec Sasha et serra les dents.
— Et le troisième ? demanda le Fitzarch.
— Ramael d’Ascraeus, dit Léoniel. Ses soutiens disent que c’est “l’Epée de Guebourah”. Les autres disent que c’est une brute…
— El a une soif de combat impressionnante, ajouta Asmodée. C’est pas plus mal car Ascraeus est le plus exposé des monts face aux ténèbres. Ramael déteste la prudence de Balomiel et voit Thaumiel comme un courtisan méprisable. El jalouse ta gloire…
— Bien. Trois archanges rivaux. Faisons en sorte qu’els ne s’unissent pas pour nous spolier de nos ressources, décida Michael. Notre priorité n’est pas de rembourser nos dettes, ni de plaire à ces archanges. C’est plutôt de gagner du temps. Tout le temps nécessaire pour bâtir un royaume solide, indépendant. Tant que Pavonis, Arsia et Ascraeus se soupçonnent, ils ne s’uniront pas contre nous.
El se pencha vers la carte, la voix basse mais ferme.
— Els nous croient vulnérables, dépendants de leur générosité. Mais chaque mois passé à les manœuvrer, à promettre sans donner, c’est un mois de plus où nous pouvons former des vertus, perfectionner nos technologies, bâtir des bastions. Le jour où els comprendront que les Labyrinthes ne sont plus à vendre, il sera trop tard pour eux.
Léoniel hocha la tête, le soulagement mêlé à la crainte.
— Alors il faut jouer serré, Michaël. Un faux pas et els sentiront notre jeu.
— Justement, sourit Michaël. On leur donnera juste assez pour qu’els restent patients. Et, quand le moment viendra, nous aurons notre propre force. Les dettes, ce seront els qui les contracteront envers nous.
Prométhée tapota la table, enthousiaste.
— Pendant que les volcans se chamaillent, les Labyrinthes deviendront le nouveau centre de la région.
Michaël sentit un frisson de certitude traverser la pièce : c’était cela, la vraie difficulté de la guerre, non pas la bataille contre les démons, mais la construction invisible du pouvoir.
♂
Le soir arriva sur Madim, drapant la cité d’ombres rouges et de lueurs tièdes. Dans la chambre silencieuse, Michaël et Léoniel s’étaient trouvés l’un l’autre, mêlant leurs corps dans un souffle partagé. La douleur de l’entraînement, le poids de la stratégie, tout s’était un instant dissous dans la chaleur de leur étreinte. Après, blottis sous les draps, le souffle encore court, Léoniel caressa du bout des doigts les cicatrices nouvelles de Michaël, ces marques laissées par Sparda.
— Dis-moi, murmura-t-el, qu’en pense Phosphoros, de toute cette politique ? Avec sa puissance, el pourrait… forcer la main aux archanges. User de son aura pour les soumettre, non ?
Michaël fixa le plafond, songeur.
— Ce serait dangereux, souffla-t-el. Phosphoros est… trop imprévisible. C’est une arme que je ne peux pas vraiment manier. Je préfère compter sur ce que je contrôle : la patience, la stratégie, mes propres choix.
À ces mots, la pièce s’emplit d’une lumière crépitante. Un feu pâle, irréel, effleura les murs.
Phosphoros se manifesta, comme un reflet incandescent dans la psyché de Michaël. Sa voix vibrait, surnaturelle, faite de braises et d’orgueil ancien.
☿ — À mon époque, il n’y avait pas de négociation, déclara Phosphoros, la voix enveloppant l’air d’une gravité souveraine. Quand je parlais, tous se taisaient. Mon autorité était la loi, car je réduisais en cendres quiconque se dressait contre moi. Je suis attristé de voir que les elohim se font la guerre pour s’approprier leurs ressources… Si je pouvais, je rétablirais l’ordre par le feu.
Un silence pesant s’abattit. Léoniel serra la main de Michaël, l’ombre d’une crainte dans le regard.
— Si une telle force revenait… chuchota-t-el, les Cieux s’effondreraient à nouveau. Plus rien ne tiendrait debout.
Phosphoros rit doucement, un rire crépitant, qui fit vibrer la pièce.
☿ — Rassure-toi, Léoniel. Je suis loin de ma puissance d’antan. Pour l’instant, c’est Michaël qui règne.
— Pour l’instant ?
La lumière se dissipa. Michaël sentit la présence de Phosphoros s’éloigner, comme un feu rentré dans sa cage. El tourna son visage vers Léoniel, l’air grave mais serein.
— Tant que Phosphoros coopère, je peux garder le contrôle.
El sourit, fatigué mais déterminé.
— Le vrai royaume, c’est celui que je construirai de mes propres mains, pas dans l’ombre d’un dieu.
Léoniel se serra contre lui, réconforté et terrifié à la fois par ce feu qui couvait sous la peau de l’archange. Ensemble, els s’endormirent, porteurs d’un fragile espoir pour l’avenir.
Le lendemain, Michaël, attablé devant un petit-déjeuner presque intact, laissait flotter ses pensées au gré des obligations du jour. À ses côtés, Léoniel, radieux, servait le thé avec une attention bienveillante ; Asmodée chipait déjà quelques fruits confits en souriant malicieusement, et Prométhée griffonnait sur une tablette lumineuse, perdu dans ses calculs.
Soudain, la porte glissa dans un souffle solennel. Perséphonia fit son entrée, majestueuse, suivie des épouses azohim, toutes en grande tenue. Le silence s’abattit dans la pièce, chacun devinant que la matriarche n’était pas venue sans raison.
Perséphonia s’arrêta devant Michaël, imposante et droite. Les épouses, d’un accord tacite, se rangèrent autour de Séphana, les regards brillants d’une curiosité mêlée d’inquiétude.
— Michaël Fitzarch, seigneur des Labyrinthes, annonça Perséphonia d’une voix claire, il m’appartient d’annoncer ce matin la continuité de ta lignée : Séphana, ton épouse, porte en elle ton enfant.
Un murmure d’émotion parcourut la pièce. Les épouses, déjà informées, éclatèrent en applaudissements, entourant Séphana de félicitations rituelles. Léoniel, visiblement ému, serra la main de Michaël avec chaleur :
— Quelle merveilleuse nouvelle ! Vraiment, Michaël, ce royaume a besoin de vie et d’avenir, et… je suis si heureux pour vous tous.
Asmodée, fidèle à el-même, laissa échapper un éclat de rire :
— Ça alors ! Il était temps que quelqu’un dans ce nid se décide à repeupler les Labyrinthes. Michaël, t’as encore de la ressource, félicitations ! Séphana, attends-toi à ce qu’on te couvre de cadeaux…
L’ambiance devint plus légère, quelques rires fusèrent. Prométhée, qui jusque-là observait la scène d’un air réservé, laissa tomber sa tablette et déclara, les yeux pétillants :
— Enfin ! J’en avais marre d’être le petit dernier, entouré d’adultes ! J’espère que mon neveu saura un geek comme moi.
Séphana, un peu intimidée, rougit sous les éloges. Marilka, l’épouse principale, se tenait légèrement en retrait, le sourire figé, les doigts serrés sur la manche de sa robe. Michaël, sentant la tension derrière la joie de façade, s’approcha d’elle avec douceur, sans rien dire.
Perséphonia reprit la parole, solennelle :
— Que cette naissance soit le gage de stabilité pour le royaume, le signe que ta maison, Michaël, est bien vivante, même dans l’épreuve.
Michaël força un sourire, cachant son malaise. El félicita Séphana d’une voix égale, sentant le regard de tous posé sur el.
— Félicitations, Séphana. Que tout se passe bien.
Un silence ému suivit, vite rompu par Asmodée qui glissa à Prométhée :
— Tu vas voir, un petit, c’est bruyant. Et puis tu seras jaloux, évidemment. Tu veux déjà lui fabriquer des jouets ?
Prométhée leva les yeux au ciel, mais un sourire étira ses lèvres. Léoniel, dans un geste affectueux, passa un bras autour des épaules de Michaël.
— Tu n’es pas seul dans tout ça, murmura-t-el. C’est une grande étape, et tu sauras l’affronter.
Michaël acquiesça, un peu perdu dans le tumulte des émotions et des attentes. El croisa le regard de Marilka, y lut une tristesse contenue, puis contempla la lumière grandissante d’Olympus : l’avenir se dessinait, incertain, mais irrémédiablement en marche.
Le soir venu, après une journée épuisante d’intrigues et de combats, Michaël rejoignit Marilka dans la grande pièce commune, où elle rangeait quelques étoffes brodées, feignant de s’activer. El s’approcha doucement, respectant son espace.
— Marilka, chuchota Michaël, tu faisais une drôle de tête ce matin. Comment vas-tu ? Vraiment.
Marilka releva à peine les yeux, gardant ses mains occupées.
— Je vais bien, Michaël. J’organise l’espace du nid, je prépare l’arrivée des petits… Il y a tant à faire.
Michaël s’assit à côté d’elle, patient.
— Ce n’est pas de l’organisation qui te tourmente. Je l’ai vu dans tes yeux. Dis-le-moi, je veux comprendre.
Un silence gênant plana. Marilka finit par poser le tissu, puis serra ses mains sur ses genoux.
— C’est… délicat, Michaël. Le fait que Séphana attende un enfant, alors que je n’ai pas eu cette chance, cela remet en cause mon statut. Je suis censée donner naissance la première, en tant qu’épouse principale. C’est une règle ancienne, une tradition qui me précède… mais elle a du poids. Les autres… parlent déjà. Certaines me regardent autrement.
Michaël fronça les sourcils, sincèrement décontenancé.
— Si j’avais su, j’aurais réservé mes faveurs à toi seule, le temps que tu tombes enceinte en premier. C’est absurde : je ne veux pas qu’une tradition ridicule dicte ta place dans ce nid.
Marilka eut un sourire triste, secouant la tête.
— Tu n’aurais pas pu. Le favoritisme est très mal vu. Si on te soupçonnait d’avoir négligé les autres épouses, tu serais accusé de partialité… et cela me serait retombé dessus aussi. La seule solution, c’est de laisser la chance, le destin, ou ce qu’EL voudra.
Michaël se raidit, agacé.
— Ce système est stupide. Je n’ai que faire de leurs ragots ou de ces règles archaïques. Tu restes mon épouse principale, enceinte ou non. C’est moi qui décide dans cette maison, pas un cercle de vieilles matriarches ni une tradition poussiéreuse. Je ne laisserai personne remettre ton statut en cause, sois-en certaine.
El prit doucement la main de Marilka dans la sienne, la regardant dans les yeux.
— Ce nid, c’est nous qui le construisons. Je ne veux pas d’une compétition entre mes épouses, ni de rivalités stériles. Je veux une famille soudée. Et je te veux heureuse ici, à ta juste place.
Marilka baissa la tête, touchée malgré elle. Ses épaules se détendirent un peu.
— Merci, Michaël… J’avais besoin de l’entendre. J’essaierai de passer outre ces traditions, même si c’est difficile. J’aimerais tant que tout soit aussi simple que tu le dis.
— Je te le promets, souffla Michaël. Rien ne changera ma confiance ni mon affection pour toi.
Un silence complice retomba, plein de soulagement et d’espoir fragile. Michaël resserra doucement son étreinte, déterminé à imposer, dans ce royaume de guerres et de devoirs, un peu de justice à sa manière.
♂
Le grand cratère d’Olympus bruissait de voix rugissantes, de lumières ardentes et de halos furieux. Les hautes voûtes, garnies de bannières martiales, résonnaient sous les débats passionnés des archanges. Au centre, trônait Camaël, son halo d’un bleu acier irisé d’étincelles rouges, recevant tour à tour les délégations venues des monts sacrés : Pavonis, Arsia, Ascraeus.
Les trois archanges-rois des Monts de Tharsis, Balomiel le pragmatique, Thauriel l’ambitieux et Ramael le belliqueux, s’avançaient solennellement devant Camaël. D’un même geste, els déposèrent leur pétition sur l’autel de justice :
— Nous réclamons que Michaël, à qui nous avons donné troupes, vivres et vaisseaux pour la reconquête des Labyrinthes, honore sa dette : qu’el partage ses vertus les mieux formées, ses ressources, et surtout ses nouvelles technologies. Le duché des Labyrinthes doit à présent payer son dû.
Des murmures parcoururent l’assemblée. Michaël, droit sur son siège d’archange, sentit tous les regards converger vers el.
Camaël, sourire carnassier, s’adressa à Michaël :
— Fitzarch, que proposes-tu ? Vas-tu honorer la dette ? Ou faut-il que je statue à ta place ?
Un silence s’installa. Michaël se leva, le regard froid et assuré :
— J’entends respecter mes engagements. Mais chaque dette a ses modalités, et chaque Mont ses urgences. Je propose que nous délibérions, en présence des parties concernées.
Camaël, amusé, lui fit signe d’aller négocier dans les salons privés du palais.
Dans les coulisses, Michaël trouva Balomiel, isolé, le front soucieux.
— Seigneur de Pavonis, commença-t-el, je sais que votre priorité, c’est la stabilité et la continuité de vos lignes de défense. Si je vous livre aujourd’hui mes vertus, le front de Madim s’effondre : que dirait-on, si l’ennemi perçait par ma faute ? Mais je peux vous garantir un accès prioritaire à nos réseaux de logistique. Et je vous promets, dès que la situation se stabilise, de détacher pour Pavonis une escouade de vertus vétéranes, chargées de former vos propres effectifs.
Balomiel plissa les yeux, pesant le pour et le contre. Michaël sentit qu’el avait touché juste : la promesse de formation, doublée d’un engagement sur la logistique, suffisait à calmer le vieil archange, avide de prévisibilité.
Plus loin, Asmodée attendait Michaël devant les tentures du salon réservé à Thauriel, l’archange d’Arsia.
— Laisse-moi ouvrir la voie, murmura Asmodée. Ce jeune coq ne rêve que de nouveautés.
Els entrèrent ensemble. Thauriel, toujours élégant, pianotait nerveusement sur une tablette d’inventions. Asmodée l’interrompit d’une voix charmeuse :
— Thauriel, tu es le plus visionnaire de nous tous. Arsia mérite de bénéficier en avant-première des prototypes que Michaël développe… mais tu sais comme moi qu’on n’ouvre pas la caverne à tous en même temps. Donne-nous la patience de finaliser les tests sur les Labyrinthes. Ensuite, je m’engage, au nom de Michaël, à ce que tu reçoives les plans complets de la prochaine génération de machines de défense. Toi seul, avant même Balomiel ou Ramael.
Thauriel, séduit par l’idée d’avoir la primeur, accepta du bout des lèvres, mais ses yeux brillaient d’envie et d’impatience.
Enfin, Michaël se tourna vers Ramael, le plus rude, le plus difficile à amadouer. Pour cet entretien, el fit appel à Léoniel, dont la prestance martiale rassurait les guerriers.
— Ramael, salua Michaël. Je sais ce que valent les combattants d’Ascraeus : els veulent du concret, de la force. Je ne peux pas disperser mes troupes aujourd’hui, mais je peux te promettre de t’inviter à la prochaine campagne contre les démons de l’estuaire de Madim. Ta bannière sera la première sur le champ de bataille. Les Labyrinthes te réservent l’honneur du front, et si tu le souhaites, nous te donnerons des vertus pour soutenir tes lieutenants.
Léoniel approuva d’un signe de tête, sa carrure impressionnante renforçant la promesse de Michaël.
Ramael, sensible à la perspective de gloire et de combats, se radoucit.
— Si tu me laisses la première ligne, je patienterai pour tes vertus et tes technologies. Mais je n’attendrai pas l’éternité, Fitzarch.
Au terme de ces négociations parallèles, Michaël revint dans l’amphithéâtre, l’allure assurée.
— Camael, les royaumes de Tharsis recevront bien ce qu’ils réclament. Mais chaque don suivra l’ordre des nécessités. Pavonis aura les premiers ravitaillements ; Arsia, les technologies de demain ; Ascraeus, l’honneur du front. Les Labyrinthes s’acquittent de leur dette, sans s’affaiblir.
Un silence lourd retomba. On aurait pu croire à une approbation tacite. Mais les trois rois des Monts de Tharsis, retors, n’avaient pas dit leur dernier mot. Balomiel, Thauriel et Ramael échangèrent un regard. Puis, d’un même geste, ils rejetèrent la pétition que Michaël venait de leur rendre.
— Nous n’accepterons pas ce simulacre, gronda Balomiel, sa voix résonnant comme un couperet.
— Le Fitzarch a essayé de nous diviser pour mieux régner ! Mais ça fonctionnera pas ! Nous voulons tout, ajouta Thauriel, d’un ton plus doucereux, mais dont le venin suintait sous les mots. Pas des miettes étalées dans le temps. Tout. Maintenant.
— Ou bien les Labyrinthes paieront autrement, cracha Ramael.
Des murmures scandalisés parcoururent l’assemblée. Michaël sentit les regards converger vers el. Els pensaient sans doute qu’el reculerait. Qu’el flancherait.
El redressa ses ailes et planta son regard mauve dans les trois archanges.
— Vous avez mal compris, déclara-t-el, glacial. Je ne suis pas venu mendier votre clémence. Les Labyrinthes survivront avec ou sans votre soutien. Mais si je vous livre mes ressources maintenant, elles s’effondrent. Mon offre est à prendre ou à laisser.
Un souffle d’électricité parcourut la salle.
— Nous la laissons, siffla Ramael.
El fit un pas en avant, son halo flamboyant comme un brasier.
— Si tu refuses d’honorer ta dette, Fitzarch, tu me la paieras autrement. Sur le ciel de bataille !
Els comprirent tous. Un duel. Michaël haussa à peine un sourcil.
— Si tu veux en découdre, soit.
À ces mots, un mouvement de foule agita les rangs. Léoniel s’avança, imposant dans son armure rouge, ses yeux brûlant d’une colère silencieuse.
— Qu’il en soit ainsi, dit la puissance. Je serai le champion de Michaël.
Mais le Fitzarch leva la main.
— Non, Léoniel.
El inspira, croisa le regard rougeoyant de Ramael.
— Je suis un archange de Guebourah désormais. Je ne me cache pas derrière d’autres.
Les murmures devinrent une clameur.
— Tu es faible, Fitzarch, et tu le sais, ricana Thauriel.
Une ombre passa dans la salle. Sparda venait de se lever, son immense silhouette rougeoyant sous la lumière.
— Alors je me joins à el, tonna le command’aile. Michael, Léoniel, nous combattrons ensemble.
Camaël, qui jusque-là observait, éclata d’un rire bref.
— Oh, que c’est délicieux… fit-el en s’affaissant sur son trône, son sourire carnassier dévoilé. Voilà un spectacle qui vaut bien la peine d’être arbitré.
Le roi ordonna qu’on écarte l’assemblée pour aménager une arène aériennce. Dans l’ombre d’une colonne, Satanachia leva les yeux au ciel, l’air excédé, comme un parent lassé des querelles d’enfants.
Les halos s’enflammèrent. Le triple duel allait commencer.
Ramael se jeta le premier, une masse rougeoyante, hurlant comme un séraphin en transe. Sparda l’encaissa, son immense lame éclatant en mille éclairs qui repoussèrent le roi d’Ascraeus. Le choc fit trembler les voûtes et arracha des exclamations aux spectateurs.
Balomiel chargea Léoniel, chacun pesant sur l’autre comme deux montagnes vivantes. Les coups s’entrechoquaient, étouffés par les boucliers de lumière qui jaillissaient à chaque impact.
Un frisson parcourut son halo, et soudain, l’arène disparut. Aux yeux de Michaël, le cratère d’Olympus s’effaça, remplacé par les décombres fumants des Labyrinthes, un champ de ruines où s’élevaient les cris de ses vertus massacrées. Des silhouettes calcinées s’avançaient vers el, leurs visages rongés par les flammes.
— Tu n’as rien sauvé, Fitzarch… murmurait une voix au creux de ses oreilles.
Michaël sentit ses ailes se replier malgré el, ses filets se distendre sous le poids de la vision. Le réseau EL lui semblait saturé de plaintes et de sanglots. Ce n’était pas réel. El le savait. Mais l’illusion, tissée par Thauriel, perçait ses défenses psychiques comme une lame de verre.
— Michaël ! rugit Sparda, sentant l’ébranlement de son allié.
Un choc. Ramael, profitant de l’ouverture, surgit comme un fauve. Son marteau luminescent s’abattit sur Michaël. Le coup pulvérisa ses défenses et l’envoya rouler vers les spectateurs. Le public hurla. Les Tharsiens exultaient. Les vertus des Labyrinthes poussèrent un cri d’effroi.
— Relève-toi ! beugla Léoniel, se jetant vers el.
Mais el n’en eut pas le temps. Ramael enchaîna, son halo rougeoyant comme une fournaise. D’un revers, el écrasa Léoniel au sol, lui arrachant un souffle étranglé. Sparda, face à Balomiel et Thauriel, pivota, son immense lame taillant l’air pour repousser Ramael, mais trop tard. El devait protéger deux fronts à la fois. Balomiel, méthodique, écrasait Sparda sous une pluie de coups lourds, ses attaques calculées visant à fixer le colosse pour permettre aux deux autres d’achever leurs proies. Thauriel, libéré de Michaël, inonda le champ de bataille d’illusions miroitantes : des dizaines de faux Ramael, tous hurlants, convergèrent sur Sparda, brouillant ses perceptions. Le command’aile recula d’un pas. Même lui, l’indomptable Sparda, se retrouvait en infériorité tactique.
Michaël gisait, son corps tremblant, ses cœurs tambourinant dans sa poitrine. Sa vision était trouble. Els sont des monstres, pensa-t-el. Des rois de guerre, façonnés pour ça. El n’était qu’un nobl’aile de Hod, un prince fragile projeté dans l’arène des brutes.
Autour d’el, les clameurs du public le déchiraient. Les Tharsiens l’appelaient “l’enfant des bibliothèques”, “le prince de papier”. El sentit la honte lui brûler la nuque. Sparda luttait pour les maintenir en vie. Léoniel, à demi conscient, grognait de douleur. Tout semblait s’effondrer.
Michaël ferma les yeux, ses filets inertes étalés sur le sol comme des membres morts.
Et dans le noir, une voix vint le chercher.
☿ — Relève-toi.
Ramael se dressait au-dessus de Michaël, son marteau luminescent brandi comme le jugement d’un dieu. Son rire rauque résonnait dans le cratère, couvert par les acclamations frénétiques des Tharsiens.
— Relève-toi, nobl’aile ! beugla-t-el. Que je t’achève debout, au moins !
Michaël n’avait plus la force de répondre. Son souffle se brisait, son corps refusait d’obéir. Les visages des Labyrinthes massacrées par les visions de Thauriel dansaient encore derrière ses paupières. El sentit le goût du métal dans sa bouche, et la douleur insupportable dans ses cœurs.
Ramael abattit le marteau.
— Meurs !
☿ — Michael !
Ses yeux s’ouvrirent. Le temps sembla ralentir.
Les filets inertes qui s’étendaient autour d’el s’embrasèrent d’un feu blanc et or. Pas un simple feu : le feu sacré. Une lumière vivante, vibrante, qui résonna jusque dans les halos des spectateurs. Un silence glacé tomba sur les gradins. Même les Tharsiens cessèrent leurs cris, figés par l’évidence : ce n’était plus seulement Michaël.
C’était Phosphoros.
L’Étoile du Matin.
La Présence inonda le cratère. Ce n’était pas le charisme d’un prince, ni la majesté d’un archange. C’était l’irrésistible éclat du Porteur de Lumière, qui brûlait tout jugement, toute illusion. Les dominations spectatrices, d’ordinaire inébranlables, plièrent la nuque et murmurèrent des prières.
Ramael recula, aveuglé par l’éclat.
— Qu’est-ce que…
Michaël se releva d’un bond fluide, ses gestes guidés par une grâce qui n’était pas sienne. Ses filets se transformèrent en chaînes incandescentes, animées d’une volonté propre. Elles claquèrent dans l’air comme des serpents de feu, fouettant les halos des trois rois.
Thauriel hurla quand la lumière sacrée toucha sa peau, les illusions qui encombraient l’arène s’évaporant en un souffle. Balomiel tituba, aveuglé par l’éclat.
Michaël leva les bras.
☿ — Regardez-moi.
Sa voix n’était plus seulement la sienne : elle portait la résonance d’un être ancien, un mélange de grâce divine et de menace cosmique. Au-dessus de l’arène, un immense filet enflammé se déploya, un soleil miniature tissé de flammes vivantes. Il se referma d’un coup, aveuglant et enchaînant les trois rois, les plaquant au sol sous la force colossale de Phosphoros.
Dans les gradins, les spectateurs suffoquaient, incapables de soutenir la vue de cette lumière. Même Camaël, hilare jusque-là, se redressa sur son trône, les yeux plissés, fasciné.
— C’est… impossible… murmura une puissance de Pavonis.
Mais personne ne pouvait nier ce qu’iels voyaient. Phosphoros était bien là. Sparda comprit avant même que les flammes ne se stabilisent. L’instant d’hésitation des trois rois, aveuglés, enchaînés par le filet incandescent, était l’ouverture qu’el attendait.
— Michaël ! Garde-les ! rugit-el.
Son corps massif se pencha en avant, ses ailes battant comme des tempêtes, et el chargea Balomiel. Le roi de Pavonis, pourtant solide comme une montagne, leva son bouclier par pur réflexe. Erreur. Sparda pivota au dernier instant et frappa en diagonale. Le choc fit exploser les runes de défense, et l’armure de Balomiel se brisa sous l’impact, des éclats de cristal rouge volant comme des lames dans l’arène. Les gradins hurlèrent. Les Tharsiens, qui scandaient quelques instants plus tôt, suffoquèrent, incapables de nier la force brute du command’aile.
— Un Fitzarch qui brûle comme l’Étoile du Matin… et le Command’aile de Madim… souffla un spectateur, incrédule.
Sur le côté, Ramael tenta de se libérer, son marteau frappant frénétiquement les chaînes incandescentes. Michaël serra les dents, sentant Phosphoros dans ses cœurs guider son geste.
— Léoniel !
Le puissant guerrier, à demi sonné, rouvrit les yeux. Le filet embrasé qui courait dans son halo ranima ses forces. El se redressa dans un rugissement et bondit devant Ramael, encaissant un coup de plein fouet qui aurait pulvérisé n’importe quelle vertu.
Assez de temps. Michaël tendit les mains, ses filets se resserrant comme une nasse. Les chaînes se muèrent en un carcan lumineux qui enserra Ramael jusqu’à écraser sa lumière.
Enfin, Thauriel, le plus rusé, tenta de fuir. Mais l’embrasement du filet céleste au-dessus de l’arène le cloua de peur. Michaël claqua les doigts. Une prison de flammes se referma autour d’el, chaque barre incandescente gravée de runes flamboyantes. Le visionnaire hurla, piégé comme un insecte dans un bocal de feu. Un silence glacé parcourut les gradins. Même les dominations, d’ordinaire imperturbables, baissèrent les yeux, effrayées.
— Haa ! Haa ! Assez !
Camaël se leva, hilare. Les trois ducs des Monts de Tharsis étaient à terre.
L’arène se résorba sous l’assaut de la foule en délire. Les trois rois restaient au sol, pantelants, leurs halos encore marqués par la brûlure des chaînes sacrées. Ramael geignait dans sa colère impuissante, Thauriel tremblait, ses yeux fous fixés sur Michaël, et Balomiel, muet, serrait les dents, son armure brisée gisant autour de lui comme une coquille vide.
Sur son trône, Camaël éclata d’un rire tonitruant, ses ailes s’ouvrant en un geste théâtral.
— Magnifique ! Oh, par EL, quel spectacle ! cria-t-el, ravi. Un duel comme on en voit rarement, digne de la gloire de Guebourah.
Les gradins hésitèrent. Certains Tharsiens hurlaient leur indignation, d’autres, pétrifiés, se taisaient. Les vertus des Labyrinthes, elles, exultaient, leurs cris d’adoration couvrant tout le reste.
Au centre de l’arène, Michaël tituba. Les flammes s’éteignirent peu à peu, laissant place à une simple lumière mauve autour de son halo. Phosphoros se retirait, comme un manteau tombant de ses épaules, le laissant de nouveau seul dans son corps. Sa respiration était saccadée, ses mains tremblaient, mais el tenait debout. Un pas lourd résonna à ses côtés. Sparda posa une main massive sur son épaule.
— Voilà ce que j’attendais d’un Fitzarch de Guebourah, déclara-t-el simplement, son ton plus solennel que jamais.
Michaël hocha la tête, incapable de répondre, encore secoué par l’embrasement qu’el venait d’incarner.
Au fond de la salle, presque invisible, Satanachia observait en silence. Son visage restait impassible, mais ses yeux, eux, scintillaient d’un intérêt nouveau. Camaël leva les bras.
— Le duel est clos ! proclama-t-el. Les Labyrinthes gardent leurs ressources, et les Monts de Tharsis rentrent chez eux avec la tête haute… ou du moins, encore attachée à leurs épaules !
Un rire nerveux parcourut les gradins. Mais tous savaient que rien ne serait plus comme avant.
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Durant les cinq années qui suivirent le grand congrès d’Olympus, le paysage de Guebourah se transforma peu à peu. Michaël, fort de ses négociations habiles, sut déployer ses ressources avec une rigueur presque chirurgicale : chaque escouade de vertus, chaque convoi de technologies, chaque bataillon de puissances était envoyé là où il renforcerait à la fois la résistance des Labyrinthes et l’alliance fragile avec les monts de Tharsis.
Sur les flancs de Madim, les armées élohiennes apprirent à coopérer comme jamais. Les vertus formées dans les écoles de Michaël instruisaient les recrues de Pavonis et d’Arsia, tandis que les puissances d’Ascraeus menaient les charges les plus dangereuses sur les ponts de lave, là où les démons du Gueb perçaient la roche. Des lignes de lumière et de cristal, conçues dans les ateliers secrets de Prométhée et d’Asmodée, défendaient désormais les failles les plus vulnérables du royaume.
Malgré tout, la guerre contre les démons était sans répit. Chaque jour, les profondeurs du Gueb grondaient, déversant des cohortes de créatures hurlantes. Mais jamais plus les Labyrinthes ne se retrouvèrent seuls : une chaîne vivante reliait désormais toutes les cités, chaque perte était compensée, chaque victoire partagée. Dans ce maelström de feu et de ténèbres, Michaël s’affirma comme chef de guerre : el commandait, mais el volait aussi sur le front, tissant d’immenses filets de lumière pour galvaniser ses troupes et secourir les bastions assiégés.
Sur le plan civil, Michaël comprit vite que la survie des Labyrinthes dépendrait aussi de la natalité. Après d’intenses négociations, Perséphonia accepta de faire acheminer des milliers d’azohim vers les cités du royaume. Des écoles, des crèches et des ateliers furent bâtis à la hâte. Les épouses de Michaël, à l’exception de Marilka, donnèrent naissance à une nouvelle génération de petites vertus et de jeunes puissances, élevées dans le culte du courage et de la solidarité. Marilka, malgré les soins et l’attention de Michaël, ne parvint pas à enfanter : elle maintint pourtant sa place, veillant sur le nid, protégeant la cohésion des familles, tenant tête aux murmures des jalouses.
Michaël, fidèle à sa promesse, s’investit dans l’éducation de ses enfants. Dès leur petite enfance, el leur apprit la résistance, la discipline, mais aussi la science des vertus et l’art de la stratégie. Les Labyrinthes devinrent le foyer d’une élite nouvelle, fière d’appartenir à une dynastie renaissante. La prospérité semblait possible, enfin, malgré l’ombre de la guerre.
Mais tout bascula, un jour d’orage, cinq ans après le congrès. Des alarmes hurlèrent sur tous les réseaux : une brèche s’était ouverte dans la séphira de Guebourah, une faille déchirant les défenses célestes. Des milliers de démons, plus vastes et terrifiants que jamais, jaillirent de l’Abysse, submergeant les premières lignes.
Dans le chaos, Michaël reprit la tête de ses troupes, son peuple à ses côtés, prêt à livrer la bataille du siècle. Les vertus et puissances des Labyrinthes se jetèrent dans la mêlée avec l’énergie du désespoir, déterminés à défendre le royaume que Michaël leur avait offert.
L’avenir, une fois de plus, se jouait au bord du gouffre.