Le jour commençait sur Madim, mais Olympus ne connaissait ni nuit ni matin. Le volcan battait d’une lumière rouge continue, traversant les galeries de basalte et les cavernes de lave. Ce jour-là, les halos du royaume entier convergeaient vers la cité forteresse. Du Gueb à l’Astarté, archanges et nobl’ailes avaient quitté leurs palais pour assister à l’événement.
Michaël allait devenir archange.
Dans une chambre cérémonielle, creusée dans le flanc du volcan, Michaël se tenait à genoux, les yeux fermés. Autour d’el, les membres de la Guilde des Architectes chantaient à voix basse, d’un ton monocorde et solennel. Leurs halos, multicolores flottaient dans la pénombre. Els portaient les manteaux d’obsidienne des ordonnateurs de Guebourah, tissés de runes. Chacun d’eux avait jadis fondé, restauré ou redessiné un royaume des Cieux. Car telle était leur mission : concevoir la forme des régimes, bâtir les cités célestes, veiller à la cohérence de l’Ordre.
L’un d’els : immense, impassible, orné d’une couronne de chiffres changeants s’approcha et murmura à l’oreille de Michaël :
— Tu vas devenir une racine. Et les royaumes pousseront autour de toi. N’oublie jamais que gouverner, c’est construire.
El déposa sur la tête de Michaël une couronne de lumière crue, qui ne brûlait pas mais pulsait à l’unisson de son double cœur. Puis tous ensemble, els entonnèrent l’ancien Chant du Grand Architecte, celui qui liait les nouveaux archanges au Dessein :
"Que ta voix dessine des frontières,
Que ton souffle guide les saisons,
Que ton nom soit le pilier des pactes,
Et que ton règne façonne la paix."
À chaque vers, Michaël sentait un fragment d’el-même être scellé, structuré. El devenait forme, loi, repère. Lorsqu’el rouvrit les yeux, son halo s’était élargi. Non en puissance, mais en axe. El avait une direction désormais. On l’autorisa enfin à se relever.
Dans la galerie attenante, deux silhouettes l’attendaient. Léoniel, en armure cérémonielle, droit comme une lance, et Asmodée, vêtu d’une tunique de chérubin de cour brodée à la va-vite, les cheveux en bataille.
— Alors, murmura Léoniel, tu es prêt ?
Michaël hocha la tête, encore un peu sonné. Asmodée s’approcha le premier. El ouvrit les bras et le serra contre el, sans un mot. Michaël, surpris, sentit ses cœurs se réchauffer.
— T’as intérêt à pas devenir chiant, glissa Asmodée à son oreille. J’aime pas les rois pompeux.
Léoniel les rejoignit, posa sa main sur l’épaule de Michaël, puis le regarda droit dans les yeux.
— Quoi qu’il arrive… tu restes toi, hein ?
Michaël sourit doucement.
— Si Phosphoros veut bien.
Els restèrent là, quelques secondes, silencieux, liés par la chaleur d’un lien que rien n’avait pu briser, ni les batailles, ni les secrets, ni la gloire. Puis els se mirent en route.
La lumière rougeoyante des galeries volcaniques baignait le cortège qui descendait lentement les degrés de l’Olympus. Michaël marchait en tête, flanqué de Léoniel à sa droite et d’Asmodée à sa gauche. Derrière eux, des puissances en armure écarlate, des vertus à halo large, des chérubins aux yeux clignotants, tous venus des Labyrinthes. El portait sur ses épaules le poids d’un royaume.
Michaël n’était pas encore archange. Le poids serait-il plus facile à porter une fois élevé ?
Sa tenue, cousue pour l’occasion par des principautés renomées, était à la fois sobre et resplendissante : une longue toge d’onyx tissée de fils d’or, rehaussée par un manteau blanc cerclé d’une bordure incandescente, comme si son ourlet avait été trempé dans un soleil couchant. Le diadème de la Guilde, presque invisible, flottait à quelques centimètres au-dessus de son front, un cercle de données lumineuses, sur lequel s’affichaient les coordonnées des bastions qu’el avait libérés.
Ses pas étaient calmes, mais ses pensées tournaient à toute vitesse. Hod, d’abord. Les salles géométriques, les réseaux EL pédagogiques, la voix tranquille de Raphaël expliquant les protocoles d’alignement mental, les prières du soir tissées comme des algorithmes. Puis Tiphéreth. Le palais de Padmilia, la salle stratégique où el avait étudié quatre ans Aubastronomica, les longues heures à étudier les flux de ravitaillement et les théories du commandement vertueux. Et enfin les Labyrinthes de la Nuit, où tout s’était enfin concrétisé, dans le sang, contre les ténèbres.
Et maintenant, Olympus. La Cour. La salle du trône s’ouvrit devant el, monumentale. Au centre, sur une estrade, trônait Camaël. Mais avant de lever les yeux vers le roi, Michaël les posa ailleurs. Sur la foule. Des centaines de milliers d’élohim occupaient les gradins, leurs halos formant une voûte palpitante. D’innombrables ophanim planaient au-dessus d’els, capturant chaque détail pour le retransmettre dans tous les royaumes des cieux. La cérémonie était un événement. Un couronnement.
Et au pied de l’estrade, Michaël les vit. Deux silhouettes. Immobiles. Solennelles. Raphaël : archange-prince de Hod, son ancien mentor, tout sourires, vêtu de blanc et d’argent, les mains croisées dans les manches de sa tunique. Et Brenna, son frère Fitzarch, avec qui el avait travaillé à Tiphéreth. El le fixait avec intensité, comme si elle jaugeait ce qu’el était en train de devenir.
Michaël frémit. Deux maîtres de son passé étaient là. Et Camaël s’apprêtait à parler. Le silence s’installa comme une chape sur la Cour entière. Michaël, debout à la base de l’estrade, n’entendait plus que le souffle du réseau EL vibrer au fond de ses tympans.
Camaël se leva. El était immense, drapé dans une cuirasse de cendre et d’or. Son visage, ciselé dans une noblesse sans faille, semblait hors du temps. Autour d’el, les halos s’étaient réduits d’eux-mêmes, comme si même la lumière se taisait pour mieux l’écouter.
La voix de l’archange-roi résonna dans la nef :
— Écoutez, vous tous. Enfants de la guerre et bâtisseurs de la paix. Écoutez la parole des Béni Elohim.
Une onde parcourut la foule. Ce nom, ancien, oublié… celui du chœur des archanges, portait encore l’éclat des âges.
— Nous sommes les Béni Elohim, ceux qui furent créés après la Seconde Brisure. Lorsque les primordieux chutèrent, lorsque les séphiroth furent ravagés, il ne restait que cendres, ruines… et devoir.
Camaël descendit une marche, ses ailes de flamme se déployant lentement derrière lui.
— Alors le Grand Architecte nous façonna. Non pas à la naissance, comme les autres chœurs. Mais par élévation. Car un archange ne naît pas archange. El le devient.
Des murmures d’adhésion traversèrent l’assemblée. Michaël, muet, leva les yeux vers le roi. El sentait déjà la pesanteur de ce titre flotter au-dessus de lui.
— Être archange, reprit Camaël, ce n’est pas commander. C’est façonner. Ce n’est pas régner. C’est construire. Ce n’est pas se croire au sommet. C’est porter les royaumes sur ses épaules.
El fixa Michaël.
— Et vous, Michaël Fitzarch, enfant du Grand Architecte, graine de Sandalphon, Etoile du Matin… vous avez bâti un royaume dans la nuit. Vous avez repris ce que nous avions tous abandonné. Vous avez redonné un cœur battant à la périphérie oubliée de Guebourah.
Camaël descendit la dernière marche. El se tenait maintenant devant Michaël. Sa présence était brûlante, tectonique.
— Vous êtes déjà souverain des Labyrinthes. Il est temps que le rang suive la fonction. Car il n’y a pas de royaume sans architecte. Et pas d’architecte sans Serment.
El se tourna vers la salle.
— Ce jour, la Guilde des Architectes vous reconnaît. Ce jour, les Béni Elohim vous accueillent. Ce jour, Michaël de la lignée Fitzarch est nommé archange-duc des Labyrinthes de Lumière.
Un tremblement parcourut le sol. La nef d’Olympus vibra comme un cœur. À peine les mots de Camaël eurent-ils résonné que la lumière changea. Le halo de Michaël pulsa d’un coup, s’élargissant brutalement comme une étoile qui éclate. Des spectres orangés, rouges et dorés jaillirent autour d’el, spiralant en volutes incandescentes. Ses genoux fléchirent, ses mains se crispèrent. Un cri silencieux se forma sur ses lèvres.
Et alors… cela commença.
Le Serment n’était pas qu’un mot. C’était une force ancienne, primordiale, une autorité gravée dans les lois de la Création. Elle s’abattit sur Michaël. Son corps se tendit. Ses ailes s’élargirent, leurs membranes éclatant dans un bruissement d’or brûlant. Son ossature se reforgea. Ses cœurs s’affolèrent. Une douleur immense le traversa, suivie par une montée extatique, une lucidité d’un genre supérieur. El grandissait. El changeait. Chaque fibre de son être s’adaptait au rang d’archange, à ce fardeau ancien.
— Aghh… !
Michaël tomba à genoux. La salle entière le regardait, suspendue. Son aura se fondit dans la voûte. El était en train de naître à nouveau. Le halo de Michaël devint plus net, plus dense, plus tranchant, dansant autour de sa tête. Des éclats de feu sacré lui remontèrent le long de la colonne, se déposant en lignes dorées sur sa peau. Quand el rouvrit les yeux, ses pupilles brillaient comme deux soleils fendus.
El se releva lentement. Et tout Olympus se figea. El n’était plus le jeune Fitzarch. El était devenu Michaël, archange-duc des Labyrinthes. El inspira une grande bouffée d’air. Tout était plus clair. Plus rapide. Plus fluide. Le monde lui apparaissait désormais comme un plan stratégique parfait, chaque halo un sujet, chaque trajectoire partie d’un Grand Plan. C’était grisant. Et terrifiant. Camaël l’observait, impassible. El tendit la main vers Michaël.
— Maintenant élevé : tu bénéficies de trois nouveaux dons. Le premier : la Potence.
Un éclair frappa le sol. Michaël chancela sous la violence de l’énergie qui s’engouffra dans ses membres. Ses muscles se contractèrent, sa densité corporelle se modifia. Un nouveau souffle passa dans ses poumons. Une force, une force monumentale.
— Le deuxième : la Présence.
Un vent se leva dans la salle. Michaël sentit quelque chose s’éveiller dans son esprit. Une clarté brûlante, une autorité naturelle. Les regards se tournèrent vers el comme attirés par une étoile. Sa voix, s’el parlait, pourrait devenir le chant d’un peuple entier. El était lumière, charme, pouvoir irradiant. El brillait désormais, et rien ni personne ne pourrait le rater.
— Et enfin, conclut Camaël, le plus sacré des dons… le Genetis Dei.
Le feu s’embrasa autour du trône. Une rune ancienne apparut dans l’air, traçant lentement des glyphes interdits. Michaël sentit sa graine réagir. Une douleur douce, puis une compréhension intime. El le sentait désormais : el pourrait donner naissance. Pas seulement à des vertus, mais à des élohim de tous les genres. À des chœurs entiers. À des civilisations.
Un souffle divin parcourut son halo.
— Te voici archange, Béni Elohim, dit Camaël. Que la Création te reconnaisse comme tel. Que ton halo ne s’éteigne jamais.
Et les élohim s’agenouillèrent. Un à un. Les millions de halos brillèrent à l’unisson. Michaël, debout dans sa nouvelle stature, regardait ses paumes. El respirait plus fort. El pensait plus vite. Et au fond de son être… Phosphoros riait doucement.
☿ — Maintenant, dit le primordieu. Nous pouvons commencer à régner.