Chapitre 16

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Le jour commençait sur Madim, mais Olympus ne connaissait ni nuit ni matin. Le volcan battait d’une lumière rouge continue, traversant les galeries de basalte et les cavernes de lave. Ce jour-là, les halos du royaume entier convergeaient vers la cité forteresse. Du Gueb à l’Astarté, archanges et nobl’ailes avaient quitté leurs palais pour assister à l’événement.

Michaël allait devenir archange.

Dans une chambre cérémonielle, creusée dans le flanc du volcan, Michaël se tenait à genoux, les yeux fermés. Autour d’el, les membres de la Guilde des Architectes chantaient à voix basse, d’un ton monocorde et solennel. Leurs halos, multicolores flottaient dans la pénombre. Els portaient les manteaux d’obsidienne des ordonnateurs de Guebourah, tissés de runes. Chacun d’eux avait jadis fondé, restauré ou redessiné un royaume des Cieux. Car telle était leur mission : concevoir la forme des régimes, bâtir les cités célestes, veiller à la cohérence de l’Ordre.

L’un d’els : immense, impassible, orné d’une couronne de chiffres changeants s’approcha et murmura à l’oreille de Michaël :

— Tu vas devenir une racine. Et les royaumes pousseront autour de toi. N’oublie jamais que gouverner, c’est construire.

El déposa sur la tête de Michaël une couronne de lumière crue, qui ne brûlait pas mais pulsait à l’unisson de son double cœur. Puis tous ensemble, els entonnèrent l’ancien Chant du Grand Architecte, celui qui liait les nouveaux archanges au Dessein :

"Que ta voix dessine des frontières,

Que ton souffle guide les saisons,

Que ton nom soit le pilier des pactes,

Et que ton règne façonne la paix."

À chaque vers, Michaël sentait un fragment d’el-même être scellé, structuré. El devenait forme, loi, repère. Lorsqu’el rouvrit les yeux, son halo s’était élargi. Non en puissance, mais en axe. El avait une direction désormais. On l’autorisa enfin à se relever.

Dans la galerie attenante, deux silhouettes l’attendaient. Léoniel, en armure cérémonielle, droit comme une lance, et Asmodée, vêtu d’une tunique de chérubin de cour brodée à la va-vite, les cheveux en bataille.

— Alors, murmura Léoniel, tu es prêt ?

Michaël hocha la tête, encore un peu sonné. Asmodée s’approcha le premier. El ouvrit les bras et le serra contre el, sans un mot. Michaël, surpris, sentit ses cœurs se réchauffer.

— T’as intérêt à pas devenir chiant, glissa Asmodée à son oreille. J’aime pas les rois pompeux.

Léoniel les rejoignit, posa sa main sur l’épaule de Michaël, puis le regarda droit dans les yeux.

— Quoi qu’il arrive… tu restes toi, hein ?

Michaël sourit doucement.

— Si Phosphoros veut bien.

Els restèrent là, quelques secondes, silencieux, liés par la chaleur d’un lien que rien n’avait pu briser, ni les batailles, ni les secrets, ni la gloire. Puis els se mirent en route.

La lumière rougeoyante des galeries volcaniques baignait le cortège qui descendait lentement les degrés de l’Olympus. Michaël marchait en tête, flanqué de Léoniel à sa droite et d’Asmodée à sa gauche. Derrière eux, des puissances en armure écarlate, des vertus à halo large, des chérubins aux yeux clignotants, tous venus des Labyrinthes. El portait sur ses épaules le poids d’un royaume.

Michaël n’était pas encore archange. Le poids serait-il plus facile à porter une fois élevé ?

Sa tenue, cousue pour l’occasion par des principautés renomées, était à la fois sobre et resplendissante : une longue toge d’onyx tissée de fils d’or, rehaussée par un manteau blanc cerclé d’une bordure incandescente, comme si son ourlet avait été trempé dans un soleil couchant. Le diadème de la Guilde, presque invisible, flottait à quelques centimètres au-dessus de son front, un cercle de données lumineuses, sur lequel s’affichaient les coordonnées des bastions qu’el avait libérés.

Ses pas étaient calmes, mais ses pensées tournaient à toute vitesse. Hod, d’abord. Les salles géométriques, les réseaux EL pédagogiques, la voix tranquille de Raphaël expliquant les protocoles d’alignement mental, les prières du soir tissées comme des algorithmes. Puis Tiphéreth. Le palais de Padmilia, la salle stratégique où el avait étudié quatre ans Aubastronomica, les longues heures à étudier les flux de ravitaillement et les théories du commandement vertueux. Et enfin les Labyrinthes de la Nuit, où tout s’était enfin concrétisé, dans le sang, contre les ténèbres.

Et maintenant, Olympus. La Cour. La salle du trône s’ouvrit devant el, monumentale. Au centre, sur une estrade, trônait Camaël. Mais avant de lever les yeux vers le roi, Michaël les posa ailleurs. Sur la foule. Des centaines de milliers d’élohim occupaient les gradins, leurs halos formant une voûte palpitante. D’innombrables ophanim planaient au-dessus d’els, capturant chaque détail pour le retransmettre dans tous les royaumes des cieux. La cérémonie était un événement. Un couronnement.

Et au pied de l’estrade, Michaël les vit. Deux silhouettes. Immobiles. Solennelles. Raphaël : archange-prince de Hod, son ancien mentor, tout sourires, vêtu de blanc et d’argent, les mains croisées dans les manches de sa tunique. Et Brenna, son frère Fitzarch, avec qui el avait travaillé à Tiphéreth. El le fixait avec intensité, comme si elle jaugeait ce qu’el était en train de devenir.

Michaël frémit. Deux maîtres de son passé étaient là. Et Camaël s’apprêtait à parler. Le silence s’installa comme une chape sur la Cour entière. Michaël, debout à la base de l’estrade, n’entendait plus que le souffle du réseau EL vibrer au fond de ses tympans.

Camaël se leva. El était immense, drapé dans une cuirasse de cendre et d’or. Son visage, ciselé dans une noblesse sans faille, semblait hors du temps. Autour d’el, les halos s’étaient réduits d’eux-mêmes, comme si même la lumière se taisait pour mieux l’écouter.

La voix de l’archange-roi résonna dans la nef :

— Écoutez, vous tous. Enfants de la guerre et bâtisseurs de la paix. Écoutez la parole des Béni Elohim.

Une onde parcourut la foule. Ce nom, ancien, oublié… celui du chœur des archanges, portait encore l’éclat des âges.

— Nous sommes les Béni Elohim, ceux qui furent créés après la Seconde Brisure. Lorsque les primordieux chutèrent, lorsque les séphiroth furent ravagés, il ne restait que cendres, ruines… et devoir.

Camaël descendit une marche, ses ailes de flamme se déployant lentement derrière lui.

— Alors le Grand Architecte nous façonna. Non pas à la naissance, comme les autres chœurs. Mais par élévation. Car un archange ne naît pas archange. El le devient.

Des murmures d’adhésion traversèrent l’assemblée. Michaël, muet, leva les yeux vers le roi. El sentait déjà la pesanteur de ce titre flotter au-dessus de lui.

— Être archange, reprit Camaël, ce n’est pas commander. C’est façonner. Ce n’est pas régner. C’est construire. Ce n’est pas se croire au sommet. C’est porter les royaumes sur ses épaules.

El fixa Michaël.

— Et vous, Michaël Fitzarch, enfant du Grand Architecte, graine de Sandalphon, Etoile du Matin… vous avez bâti un royaume dans la nuit. Vous avez repris ce que nous avions tous abandonné. Vous avez redonné un cœur battant à la périphérie oubliée de Guebourah.

Camaël descendit la dernière marche. El se tenait maintenant devant Michaël. Sa présence était brûlante, tectonique.

— Vous êtes déjà souverain des Labyrinthes. Il est temps que le rang suive la fonction. Car il n’y a pas de royaume sans architecte. Et pas d’architecte sans Serment.

El se tourna vers la salle.

— Ce jour, la Guilde des Architectes vous reconnaît. Ce jour, les Béni Elohim vous accueillent. Ce jour, Michaël de la lignée Fitzarch est nommé archange-duc des Labyrinthes de Lumière.

Un tremblement parcourut le sol. La nef d’Olympus vibra comme un cœur. À peine les mots de Camaël eurent-ils résonné que la lumière changea. Le halo de Michaël pulsa d’un coup, s’élargissant brutalement comme une étoile qui éclate. Des spectres orangés, rouges et dorés jaillirent autour d’el, spiralant en volutes incandescentes. Ses genoux fléchirent, ses mains se crispèrent. Un cri silencieux se forma sur ses lèvres.

Et alors… cela commença.

Le Serment n’était pas qu’un mot. C’était une force ancienne, primordiale, une autorité gravée dans les lois de la Création. Elle s’abattit sur Michaël. Son corps se tendit. Ses ailes s’élargirent, leurs membranes éclatant dans un bruissement d’or brûlant. Son ossature se reforgea. Ses cœurs s’affolèrent. Une douleur immense le traversa, suivie par une montée extatique, une lucidité d’un genre supérieur. El grandissait. El changeait. Chaque fibre de son être s’adaptait au rang d’archange, à ce fardeau ancien.

— Aghh… !

Michaël tomba à genoux. La salle entière le regardait, suspendue. Son aura se fondit dans la voûte. El était en train de naître à nouveau. Le halo de Michaël devint plus net, plus dense, plus tranchant, dansant autour de sa tête. Des éclats de feu sacré lui remontèrent le long de la colonne, se déposant en lignes dorées sur sa peau. Quand el rouvrit les yeux, ses pupilles brillaient comme deux soleils fendus.

El se releva lentement. Et tout Olympus se figea. El n’était plus le jeune Fitzarch. El était devenu Michaël, archange-duc des Labyrinthes. El inspira une grande bouffée d’air. Tout était plus clair. Plus rapide. Plus fluide. Le monde lui apparaissait désormais comme un plan stratégique parfait, chaque halo un sujet, chaque trajectoire partie d’un Grand Plan. C’était grisant. Et terrifiant. Camaël l’observait, impassible. El tendit la main vers Michaël.

— Maintenant élevé : tu bénéficies de trois nouveaux dons. Le premier : la Potence.

Un éclair frappa le sol. Michaël chancela sous la violence de l’énergie qui s’engouffra dans ses membres. Ses muscles se contractèrent, sa densité corporelle se modifia. Un nouveau souffle passa dans ses poumons. Une force, une force monumentale.

— Le deuxième : la Présence.

Un vent se leva dans la salle. Michaël sentit quelque chose s’éveiller dans son esprit. Une clarté brûlante, une autorité naturelle. Les regards se tournèrent vers el comme attirés par une étoile. Sa voix, s’el parlait, pourrait devenir le chant d’un peuple entier. El était lumière, charme, pouvoir irradiant. El brillait désormais, et rien ni personne ne pourrait le rater.

— Et enfin, conclut Camaël, le plus sacré des dons… le Genetis Dei.

Le feu s’embrasa autour du trône. Une rune ancienne apparut dans l’air, traçant lentement des glyphes interdits. Michaël sentit sa graine réagir. Une douleur douce, puis une compréhension intime. El le sentait désormais : el pourrait donner naissance. Pas seulement à des vertus, mais à des élohim de tous les genres. À des chœurs entiers. À des civilisations.

Un souffle divin parcourut son halo.

— Te voici archange, Béni Elohim, dit Camaël. Que la Création te reconnaisse comme tel. Que ton halo ne s’éteigne jamais.

Et les élohim s’agenouillèrent. Un à un. Les millions de halos brillèrent à l’unisson. Michaël, debout dans sa nouvelle stature, regardait ses paumes. El respirait plus fort. El pensait plus vite. Et au fond de son être… Phosphoros riait doucement.

— Maintenant, dit le primordieu. Nous pouvons commencer à régner.

Dans l'immense amphithéâtre d'Olympus, la fête battait son plein. Des bannières de lumière flottaient entre les colonnes, les musiques célestes vibraient à travers les arches volcaniques, et les élohim dansaient en cercles, leurs halos fusionnant en spirales de couleurs. Des chérubins, des vertus, des puissances, tous chantaient à l’unisson. La liesse était immense : la victoire des Labyrinthes et l’élévation d’un nouveau Béni Elohim, tout cela appelait à l’euphorie.

Michaël avançait lentement entre les groupes, vêtu d’une robe d’archange rouge et blanche, tissée d’ondes vivantes. À ses côtés, Léoniel arborait une armure cérémonielle martiale aux reflets cendrés, et Asmodée, plus discret, portait une toge brodée d’engrenages d’or. Sparda, massif comme un titan de basalte, se tenait non loin, une coupe d’ambroisie à la main, riant à gorge déployée avec les command’ailes des Monts de Tharsis. Même Camaël souriait, un sourire rare, royal, flottant entre satisfaction et gravité.

Et pourtant, au fond de Michaël, une tension se formait. El le sentit avant même de le voir. Un frisson dans son halo, un souvenir qui remontait comme une onde de choc à travers le réseau de sa mémoire. El tourna la tête.

Raphaël approchait.

Ses pas étaient calmes. Sa silhouette, autrefois flamboyante, était désormais cachée par un manteau long aux reflets métalliques. Sa peau, d’un blanc froid, semblait presque irréelle. Mais Michaël savait : ce n’était plus vraiment de la peau. Raphaël, depuis Sicad, n’avait plus son corps d’origine. Son essence, morcelée par le souffle de Nukvah, était soutenue par une structure de mercure thaumaturgique. Chaque mouvement semblait à la fois fluide et calculé, comme s’el réapprenait encore à exister.

À sa droite, marchait Brenna, vêtu de mauve et d’argent, ses ailes immenses repliées avec élégance. Ses yeux d’ambre fixèrent Michaël avec une douceur bienveillante.

— Michaël, salua Raphaël.

La voix. Identique. Intacte.

Michaël ne répondit pas tout de suite. Son regard se posa sur la gorge de Raphaël, puis descendit sur ses mains. Un éclat liquide pulsa. Le mercure.

— Raphaël, répondit-el enfin.

L’atmosphère, autour, semblait se figer légèrement. Léoniel s’écarta avec prudence, après avoir posé une main sur l’épaule de Michaël, comme pour l’ancrer.

— C’est un grand jour, dit Brenna, sa voix douce comme un rêve. Nous avons suivi ton ascension. Nous sommes fiers de ce que tu es devenu.

— Merci, répondit Michaël, le ton neutre.

Raphaël baissa les yeux un instant. Puis el les planta dans ceux de Michaël.

— Tu as fait plus que ce que nous espérions.

Michaël serra les dents. Des images le traversèrent. Sicad. Burrhus. La pénitence. La trahison.

« El a toujours été instable. Je ne sais même pas pourquoi j’ai cru en el. »

Michaël se souvenait de chaque mot prononcé par Raphael, dans son dos.

— J’ai suivi ma voie, murmura Michaël. J’ai choisi mon destin, fait ce que je voulais.

Raphaël hocha doucement la tête.

— Je sais. Et tu as eu raison.

Le silence retomba. Brenna posa une main sur l’épaule de Michaël.

— Tu portes la lumière de bien plus qu’un Fitzarch, dit-el. Et nous avons tous nos deuils, nos erreurs. Raphaël a beaucoup appris de ton parcours. On peut dire qu’el a changé.

— El a changé de corps, oui, répondit Michaël sèchement.

Un instant de tension. Mais Brenna ne céda pas. El acquiesça lentement.

— Et d’âme. Peut-être. Peut-être pas. Mais el est venu. Et moi aussi. C’est tout ce que nous pouvions faire.

Raphaël ajouta, la voix presque fragile :

— Et ce que tu fais… ce que tu es… dépasse tout ce que j’avais imaginé. Pardonne-moi.

Michaël détourna les yeux, le cœur serré. Raphaël s’approcha doucement, comme s’el sentait la faille encore vive sous le vernis d’apparat. La foule célébrait au loin, mais entre els deux, le tumulte semblait suspendu.

— Michaël, dit el d’une voix plus calme, presque intime. Tu ne seras pas seul.

Le jeune archange, auréolé de sa récente transfiguration, tourna lentement la tête, le regard voilé d’un doute tenace.

— Vraiment ? Les rivalités minent l’archangélat. Les trahisons. Les luttes de prestige. Je le sais.

Raphaël esquissa un léger sourire, fatigué, mais sincère.

— C’est vrai. Nous sommes des souverains. Des bâtisseurs. L’orgueil nous ronge parfois. Mais la communauté des Béni-Elohim n’est pas un nid de serpents. Elle est aussi une fraternité. Nous sommes liés par nos fonctions, par nos serments. Et certains d’entre nous… croient encore en cette fraternité.

Michaël le fixa longuement, le souffle court. Une part d’el voulait croire. L’autre, endurcie dans les flammes des Labyrinthes, restait méfiante.

Raphaël ajouta alors, plus bas :

— Tu as des alliés, Michaël. Moi. Brenna. Sparda. Même Camaël. Aucun d’els n’est parfait… mais tous t’ont vu te dresser seul contre l’obscurité. Et els t’ont reconnu. Pas seulement comme Phosphoros. Comme toi.

Un silence, presque doux.

— Et si la fraternité ne vient pas à toi, poursuivit Raphaël, alors bâtis-la. Comme tu as bâti tes bastions. Comme tu as rassemblé les vertus et les puissances autour de ta lumière.

Michaël ferma les yeux un instant, un souffle profond lui échappant. El sentait encore Phosphoros dans l’ombre de ses pensées, brûlant d’autres ambitions. Mais là, dans ce moment fragile, el ressentait autre chose : une lueur ténue de confiance.

— Je vais essayer, murmura-t-el. Mais si tu trahit encore…

— Je ne le ferai pas, dit Raphaël. Plus jamais.

Michaël rêvait.

Autour d’el, un océan de brume dorée ondulait sous une lumière sans source, comme si l’aube elle-même avait pris forme. Le sol, s’il en existait un, s’effaçait à mesure qu’el avançait. C’est alors qu’el l’aperçut : un éloha à la peau dorée, la crinière flamboyante, dont les mèches semblaient crépiter d’une vie propre. Ses yeux, d’un bleu électrique saisissant, lui rappelèrent aussitôt ceux de Satanachia, mais plus vifs encore, traversés d’un éclat indompté.

Tout vêtu de blanc, Phosphoros se tenait là, immobile, comme si el l’attendait depuis toujours. Michaël, interdit, sentit ses cœurs s’accélérer. L’être qui lui faisait face était d’une beauté presque insoutenable.

— Ainsi donc, murmura Phosphoros, voilà mon nouvel hôte.

La voix était douce et claire, mais traversée d’une puissance que Michaël sentit jusqu’au plus profond de son halo.

— Tu… tu es… balbutia Michaël, troublé.

Phosphoros sourit, s’approcha, posa sur el un regard plein d’une étrange tendresse.

— Tu es plus brave que je ne l’espérais. Plus résilient aussi. Je voulais te féliciter… pour ton ascension. Mais surtout pour avoir tenu bon.

Michaël baissa les yeux, incapable de soutenir longtemps ce regard.

— Pourquoi… pourquoi te montres-tu à moi maintenant ?

— Parce que tu es prêt, répondit Phosphoros, espiègle. Et parce que… j’avais envie de danser.

— Danser ?

Le rêve changea soudain : autour d’els, une mélodie éthérée naquit, tissée de chœurs lointains et de harpes cristallines. Le sol se mua en un parquet lustré qui reflétait leurs halos. Phosphoros lui tendit la main, le sourire aux lèvres.

— Une danse, Michaël. Et en échange, je répondrai à toutes tes questions.

La vertu hésita, fronça les sourcils.

— C’est ridicule.

— C’est nécessaire, insista Phosphoros, d’un ton joueur.

Et Michaël, malgré sa réticence, posa sa main dans celle du Porteur de Lumière. Phosphoros l’entraîna alors dans une valse lente, leurs halos fusionnant en une lumière mouvante.

À chaque pas, Michaël sentit autre chose que la simple étreinte de son partenaire : des visions s’insinuaient en el. Des souvenirs qui n’étaient pas les siens. El vit Phosphoros, plus grand, plus imposant, marteler un métal incandescent à coups de marteau, forgeant des lames vivantes qui pulsaient comme des cœurs. El vit ses mains tracer des runes de lumière sur des cristaux, comme si elles insufflaient une âme à la matière. Puis, le décor changea : un champ de bataille infini, des démons hurlants déchiquetés par ses coups d’épée, et autour d’el, des armées d’élohim le suivant aveuglément dans la lumière.

La danse s’accéléra, et Michaël sentit quelque chose pénétrer son propre halo. Le souvenir devint sensation. Une chaleur insoutenable envahit ses veines, le feu sacré. Un feu purificateur, brûlant tout ce qui était ténèbres, mais qui ne blessait pas la lumière. Michaël le sentit parcourir ses bras, jaillir au bout de ses doigts. El était Phosphoros, ne serait-ce qu’un instant : le guerrier de l’âge d’or, portant dans ses mains un brasier céleste qui consumait l’Abysse.

Puis les visions s’adoucirent. Michaël se retrouva à survoler des cités de lumière, des mondes célestes, des foules innombrables chantant sous des ciels constellés de halos multicolores. La luxuriance de l’âge d’or avant la Seconde Brisure emplissait son esprit. C’était un monde révolu, mais vibrant encore dans la mémoire de Phosphoros.

Essoufflé, troublé, Michaël osa enfin parler :

— Es-tu vraiment l’avatar du guerrier ?

— Oui, répondit Phosphoros avec un sourire narquois.

— Et quelle différence avec… le Porteur de Lumière el-même ?

— Le Porteur de Lumière avait plusieurs visages. Forgeron, guerrier, leader… Moi, je suis la part guerrière, qui a d’une manière ou d’une autre survécu.

— Comment… es-tu mort ?

Le sourire de Phosphoros s’effaça. El détourna un instant les yeux.

— Je ne sais plus exactement… Je combattais les ténèbres. Et puis… un géant est apparu. Il m’a oblitéré.

— Un géant ? répéta Michaël, incrédule.

— Peut-être un partzuf. On dit que le Porteur de Lumière est tombé juste avant l’arrivée du premier Atik Yomin, n’est-ce pas ? Peut-être que c’est lui qui m’a soufflé en passant.

Michaël sentit un frisson glacé lui parcourir l’échine. Un partzuf avait tué un primordieu. El n’osa rien dire.

— Donc… la part guerrière du Porteur de Lumière est revenue. Est-ce le seul primordieu à s’être réincarné ?

— Non, répondit Phosphoros. L’Oracle-Entre-Les-Étoiles vit en Satanachia.

Michaël eut un bref rictus. El s’en doutait.

— Et la part forgeronne du Porteur de Lumière par exemple ? Elle pourrait revenir ?

— Peut-être, dit Phosphoros, vague. Peut-être qu’elle est déjà là, quelque part.

— Où ?

Phosphoros ignora la question et changea subtilement de pas. Michaël comprit qu’el n’en saurait pas plus.

— Demain, tu apprendras les noms des primordieux, reprit Phosphoros. C’est un privilège réservé aux plus nobles des nobl’ailes.

— À quoi ça sert ? demanda Michaël, intrigué.

— C’est un rituel. Un rite ancien, qui aide à comprendre l’ordre de la Création. Déjà à mon époque, il existait. Tu verras demain.

La musique monta en intensité, et Michaël sentit ses résistances s’effondrer. Emporté par la danse, el cessa de penser, laissant Phosphoros le guider dans ce rêve hors du temps, où chaque pas était un souvenir, chaque mouvement un fragment d’histoire, et chaque souffle une étincelle du feu sacré.

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